1500 douglas par hectare
Le 8 décembre 2020 paraissait dans les Dernières Nouvelles d’Alsace un article rapportant que la société Bugatti projetait la plantation de 2500 arbres en forêt de Grendelbruch. Ayant rejeté en 2018 l’équivalent de 1380 tonnes de CO2, le prestigieux constructeur automobile souhaite ainsi jouer le jeu de la compensation carbone et le maire de la commune, salarié de l’entreprise, est sur place pour participer.
Si la démarche semblait de prime abord louable, le descriptif du projet nous interpellait : il s’agissait, selon l’article, de boiser plusieurs parcelles du massif du Hahnenberg – dont les résineux avaient subi les attaques de scolytes – à raison de 1500 douglas à l’hectare, ce qui représentait 6,67 m² par arbre.
Autrement dit, aucune place n’était laissée à la diversité des essences ni à la régénération naturelle et si c’est effectivement la densité de plantation souvent pratiquée pour la culture de cet arbre importé d’Amérique du Nord, celle-ci semble depuis un moment remise en question.
Un choix contestable
Car malgré les avantages que présentent sa croissance rapide et l’imputrescibilité de son bois, qui font que le Douglas a été planté partout où l’on pouvait, impératifs économiques obligent, les conséquences de son exploitation effrénée se font aujourd’hui sentir : sécheresses, maladies et parasites déciment les forêts françaises. Les monocultures de cet arbre exogène ne sont pas pour rien dans le dépérissement de la forêt : en effet, le Douglas est une espèce très sensible aux facteurs abiotiques, c’est à dire aux phénomènes physico-chimiques, des facteurs qui ne sont pas liés directement aux êtres vivants (température, ph, précipitations) ainsi qu’aux attaques fongiques comme la rouille (rouille suisse du Douglas), organisme nuisible au Douglas. Mais c’est aussi un arbre très sensible au dessèchement des racines qui constitue, lui, un agent biotique (source Waldwissen.net Suisse-WSL CH-8903 Birmensdorf) .
Ce choix nous avait d’autant plus étonné que Bugatti disait, dans ce même article, travailler en partenariat avec l’entreprise Reforest’Action, organisme de conseil et référent en matière de reboisement.
Afin de creuser la question, Arppege a contacté ce dernier qui, à notre étonnement, nous a déclaré ne pas avoir été approché par l’entreprise de Molsheim dans le cadre du projet de Grendelbruch.
Inquiets de voir définitivement actée une telle politique de monoculture, nous avons échangé avec la municipalité de Grendelbruch et sollicité l’appui d’Alsace Nature qui s’est rapprochée par courrier de l’entreprise Bugatti afin de demander des éclaircissements sur ce projet.
C’est finalement une réponse relativement rassurante qui a été faite à la fédération, la personne en charge de l’environnement chez Bugatti indiquant que le projet n’était pas abouti et que les éléments publiés dans l’article des Dernières Nouvelles d’Alsace l’avaient été, semble-t-il, un peu prématurément.
Des contacts ont été noués entre la société Bugatti, la Mairie de Grendelbruch, l’Office National des Forêts et les représentants d’Arppege, et ont abouti à une rencontre sur le terrain en vue d’échanger sur les modalités de replantation des parcelles concernées. Arppege et Alsace Nature tenait à ce que soit abandonnée l’idée d’opérer de la monoculture et que place soit donnée à la diversité de culture de végétaux (introduction de feuillus) ainsi qu’une part non négligeable laissée à la régénération naturelle, le tout formalisé par un engagement contractuel .
Une autre conception de la gestion de la forêt
Le 25 mai 2021 tout ces acteurs se retrouvaient sur le Hahnenberg, au lieu même du projet de plantation. Annick Schnitzler, scientifique spécialiste des forêts naturelles et professeure d’écologie à l’université de Lorraine, accompagnait les représentants d’Arppege pour les aider à défendre une conception autre de la gestion des forêts vosgiennes. Une gestion consistant en une large part laissée à la régénération naturelle et la perspective de l’abandon progressif d’espèces exogènes comme l’épicéa, introduit massivement il y a une centaine d’années. Elle milite afin que l’on ne recommence pas la même erreur : « Il ne faut pas prendre des espèces exotiques du bout du monde, Il faut laisser faire les écosystèmes, accepter leur lenteur ». Annick Schnitzler s’est distinguée depuis plus de 30 ans par ses travaux de recherche sur l’écologie des forêts naturelles, la protection de leur biodiversité, tant animale que végétale. Sa persévérance et ses qualités scientifique reconnues lui ont récemment valu d’être élevée au rang de Chevalier de l’Ordre du Mérite ( Ministère de la Transition Écologique).
Des échanges constructifs
Les échanges très intéressants qui ont eu lieu ce jour là ont permis d’apporter un nouvel éclairage au projet, la place donnée au Douglas dans l’article de presse ayant, semble-t-il, fait l’objet de données sans commune mesure avec ce qui avait été en fait projeté : au final, sur deux parcelles totalisant environ 2,7ha , une large place sera donnée à la régénération naturelle côtoyant des plantations de feuillus,aucune place n’étant finalement donnée au Douglas :
Parcelle n° 5
Cette parcelle est longée par le futur chemin ludique projeté par la Communauté des Communes des Portes de Rosheim. Cette opération aura bien évidemment valeur pédagogique avec information sur les plantations st la régénération naturelle.
- sur environ 25 ares, partie est de la parcelle : plantation de chênes avec protection par clôture forestière.
- sur 25 ares au centre : conservation du point de vue sur la Vallée de la Bruche avec plantation de sapins de Noël pour les besoins de la commune (coupe régulière garantissant la préservation du point de vue).
- sur environ 50 ares : (partie Ouest, Sud et Nord de la parcelle entourant la zone des sapins de Noël) : reboisement par régénération naturelle sans intervention humaine.
Parcelle n°4 (environ 1,7 ha)
- pose d’une clôture forestière sur la totalité de la parcelle.
- plantation de chênes (essence adaptée à la station et bonne résistance à la chaleur).
- conservation des semis naturels de hêtres, feuillus et résineux divers pour favoriser la diversité.
Une issue satisfaisante
Dans ce dossier, la persévérance d’Arppege, les compétences d’Annick Schnitzler, le professionnalisme du représentant de l’ONF et l’implication du maire de Grendelbruch auront permis de trouver une issue favorable assurant la préservation de la biodiversité par la place laissée à la régénération naturelle.
Cet exemple illustre l’impérative nécessité de recréer des espaces sauvages, même à partir de zones anthropisées – la nature sauvage ayant suffisamment de capacités pour reprendre ses droits – des espaces difficilement pénétrables, sans routes mais avec la possibilité donnée au promeneur d’y accéder, accompagné d’une information lui permettant s’approprier le sauvage retrouvé . Des mesures urgentes protection des habitats et de la faune sauvage devront y être associées.
Souhaitons que ce message soit non seulement entendu, mais retenu.