Des convois pendant deux mois
Le mois dernier, des habitants de Lutzelhouse nous ont rapporté avoir été témoins pendant presque deux mois d’un ballet de tracteurs chargés de terre et de gravats. Intrigués et dérangés par les nuisances, ils ont suivi les convois et nous ont rapportés les faits suivants :
De mi-juillet à début septembre, tous les jours ouvrables, des convois ont traversé le village dès 7h du matin, jusqu’à parfois 18h. Selon les périodes, il pouvait y avoir jusqu’à vingt allers-retours journaliers, soit quarante passages.
Ces convois auraient initialement pris la route départementale menant à la commune de Wisches, puis le passage de cette commune leur aurait été interdit, ce qui les a conduit à emprunter la rue de la Fontaine et les routes forestières de Lutzelhouse, pour finalement déverser leur chargement sur le site des Carrières, sur le ban de Lutzelhouse. Des panneaux de direction marqués au nom d’Eiffage balisaient encore l’itinéraire lorsque nous nous sommes rendus sur place début décembre.
15 000 tonnes de remblais en pleine nature
Sur place, le constat est désastreux : un mélange de terres, de gravats de béton et de pierres, de plastiques, de ferrailles, de bois, le tout s’étalant sur environ 2 500 m². Il semble même que des plants de renouée du Japon aient été charriés parmi ces dépôts, cette plante invasive élisant habituellement domicile le long des cours d’eau.
Petit florilège :
Outre les nuisances subies par les riverains, nous considérons être ici témoins d’une atteinte à l’environnement.
- Les chemins ont irrémédiablement été tassés et fortement élargis par les passages des tracteurs.
- La faune a été incessamment dérangée pendant plus de la moitié de l’été.
- La composition des dépôts est à même de dénaturer et polluer les sols. Rappelons également que, une centaine de mètre en aval, se trouve le cours d’eau du Netzenbach.
- Quelle est la provenance de ces cargaisons ? Qu’en est-il de la dépollution des gravats ?
- La renouée du Japon est une espèce végétale classée invasive qui dénature les sols et élimine toute concurrence végétale. Nous sommes inquiets pour l’état futur de la flore locale.
De plus, il s’avère que :
- Le site des Carrières est situé en Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF) de type 1.
- Le PLU interdit le dépôt de déchets dans ce secteur classé Naf. Rappel de la définition légale d’un déchet : « Tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit, ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que le détenteur destine à l’abandon » (article L.541-1-1 du Code de l’environnement), loi du 15 juillet 1975. Voir le site de l’Ademe.
- Une consultation des vues aériennes indique que la place a été nettoyée et apparemment déboisée entre 2018 (photo IGN à gauche) et 2021 (photo Google à droite). On aperçoit sur cette dernière image un engin de travaux circulant dans la zone.
Les explications du maire
Puis, ce 13 décembre, France Bleu publie un article dans lequel Jean-Louis Batt, maire de Lutzelhouse, reconnait avoir autorisé ces dépôts. Ceux-ci proviennent de l’entreprise Siat-Braun, la société Eiffage étant chargée de les débarrasser de ces gravats, extraits de leur site d’Urmatt pour préparer la construction d’une nouvelle ligne de production. La contrepartie consistant, pour la commune, en un versement de 15 000 €. Il est également expliqué qu’Eiffage avait la charge de la dépollution des matériaux. Nous espérons à minima que la preuve en sera faite avec force documents justificatifs. Pour l’instant, la nature des matériaux observés sur place nous laisse dubitatifs.
Monsieur Batt justifie la dépose de ces déchets par le souci de limiter le transport routier en privilégiant les circuits courts (sic) ainsi que par un projet de site de compostage.
Nous restons pantois devant ces explications. Dans diverses entrevues, le maire se présente en défenseur de l’environnement : nous voyons là une posture bien fragile lorsque dans le même temps, il laisse déverser en zone remarquable des déchets dont on attend la preuve de l’innocuité, et qui auront dans tous les cas altéré la nature du sol. Le tout en échange d’une somme dérisoire, pour autant d’ailleurs que l’on accepte le principe inique du droit à payer pour polluer.
Petite anecdote caustique : sur le chemin menant au site, nous sommes passés devant le panneau d’interdiction de décharge ci-dessous. Nous avons été partagés entre l’amusement et le dépit.
Affaire à suivre
Nous avons confié nos observations à Alsace Nature, association de protection de l’environnement à laquelle nous sommes fédérés et qui a saisi le Direction Départementale des Territoires (DDT) ainsi que la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), afin que ces derniers statuent sur la légalité de ces remblais.
De notre côté, nous adressons une lettre au maire de Lutzelhouse pour obtenir des explications détaillées sur les raisons et les circonstances de ces travaux, ainsi que les justificatifs de dépollution évoqués.
Nous mettrons cet article à jour au fil des avancées de l'affaire.